Chercher une formation
Thématiques ;
Villes - Hôtels ;
Formateurs ;
Téléchargez le catalogue
« La science manipule les choses et renonce à les habiter. » disait Maurice Merleau-Ponty dès
la première phrase de L’oeil et l’Esprit, son dernier écrit.
Claude Lefort, dans sa préface commentait : « Merleau-Ponty interroge la vision, en même
temps que la peinture. Il cherche, une fois de plus, les mots du commencement, des mots, par
exemple, capables de nommer ce qui fait le miracle du corps humain, son inexplicable
animation, sitôt noué son dialogue muet avec les autres, le monde et lui-même – et aussi la
fragilité de ce miracle. »
Comme on pouvait s\'y attendre, la Haute Autorité de Santé, touchée par l\'idéologie dominante
de la science éducative, comportementale et développementale, conteste aujourd’hui
officiellement la psychanalyse, la psychothérapie institutionnelle et le packing dans les
pratiques d’approche des personnes qui souffrent de la massivité de leurs problématiques
autistiques.
Ce qui est déterminant structurellement pour les humains est oublié. Nous assistons à une
régression topique et économique, à une idéologie qui fait prévaloir les rapports utilitaristes,
de conditionnement, voire de domination dans les commerces humains. Cette régression des
politiques publiques et étatiques dans de très nombreux pays se manifeste à l’extrême, par la
fréquente utilisation des chambres d\'isolement et des contentions, en psychiatrie comme dans
d\'autres services du champ sanitaire ou médico-social. Ce symptôme ordinaire fait prévaloir
les stratégies de contrainte à dominante sado-masochiste, dont les protocoles visent la sécurité
et requièrent une docilité acceptée. La décision de la HAS survient dans ce contexte.
\"Science sans conscience n\'est que ruine de l\'âme\" écrivait Rabelais en 1532. Médecin, il
incitait à ne pas tomber dans une illusion scientiste simpliste. Aujourd’hui, il nous faut veiller
à ne pas méconnaître la complexité de l\'existence qui est toujours une co-existence. La
simplification consensuelle des réponses normatives tend à écraser cette question de la
complexité, la rabattant sur des considérations oubliant que l\'humain se spécifie de ce qu\'il
peut dire, de sa façon de s’incarner dans sa parole... Les problématiques autistiques se
trouvent donc aujourd’hui à une place paradigmatique, puisque justement le rapport au
langage y est au premier plan.
Freud, dans son hommage à J.-M.Charcot dont l’approche faisait prévaloir le \"visuel\" dans
l’observation anatomo-clinique, précisait l’avancée de son approche psychanalytique : au-delà
de ce qui peut se voir et se corriger, il proposait d’écouter la parole de la personne pour
qu’elle puisse se construire dans son rapport au monde, à autrui et à sa propre subjectivité.
Comment aujourd\'hui faire entendre l\'importance de demeurer attentif à cette nécessité de
préserver des espaces où quelque chose puisse se dire et s\'entendre d’une position subjective ?
Cette exigence peut apparaître paradoxale quand elle concerne des personnes ayant une
tendance autistique qui les confronte, plus que toute autre, à des difficultés extraordinaires à
dire et à se faire entendre pour pouvoir se construire avec les autres.
L\'humain s\'incarne dans le langage qui construit son devenir en situation, à la condition de
pouvoir se trouver dans la situation vécue de partager avec autrui l\'énigme du désir de chacun.
\"L\'art de l\'écoute et de l\'écho\" (L. Bonnafé) peut toujours être mis en précarité par les
occasionnelles dominantes idéologiques des politiques proposées par les autorités.
Demeurons \"paradoxalement ouverts à l\'espoir\" (F. Tosquelles) dans nos contacts avec les
personnes qui viennent à notre rencontre, comme jadis les professionnels de l\'hôpital de Saint-
Alban en Lozère où, durant la seconde guerre mondiale, aucun malade n\'est mort de faim,
alors que 40 à 60000 de nos concitoyens subissaient l\'hécatombe des fous.
Il importe donc que tous nos concitoyens puissent exercer leur libre choix et leur citoyenneté
de plein droit en rencontrant les professionnels de leur gré. Toute assignation statutaire par la
HAS, comme celle concernant les personnes autistes de tous âges, devenant impérative me
semble receler la proposition d’une citoyenneté restreinte, voire d’exception qui requiert notre
vigilance, car la forme de notre cité peut s’en trouver infléchie : la logique des discriminations
dites positives, privilégie le fait d’avoir des semblables sur le discours qui respecte chacun
dans ce qu’il est de plus singulier. C’est l’enjeu de toute organisation collective que de
pouvoir ou non être en prise sur cette question du singulier. Il s’agit de demeurer ouvert à
l’accueil de chacun pour ce qu’il est unique et distinct de tout autre. Le cheminement que
nous pouvons alors partager avec lui et son entourage prend sens à la condition de respecter
éthiquement les disparités subjectives qui se manifestent dans nos rencontres.
\"Ça fait longtemps que ça dure, mais ça ne fait que commencer\", disait Samuel Beckett.
Dr Michel LECARPENTIER. Avec l’accord des Dr Jean OURY, P. BICHON, P.
COUTURIER, C. DU FONTBARE, D. ROULOT, Psychiatres à la Clinique de La Borde, et
du Pr Pierre DELION, Pédopsychiatre CHRU Lille. Jeudi 8 mars 2012
Laissez votre commentaire